France : paradoxes et périls

Depuis le 9 juin au soir, nul ne peut dire de quoi sera fait demain en France. C’est pourtant au moment où les différentes factions vivent sous le bonapartisme le plus rigide que la classe politique explose.

Emmanuel Macron a décidé seul de dissoudre l’Assemblée nationale. De son côté, Éric Ciotti, ignorant toutes les structures de son parti, Les Républicains, décide, sans la moindre concertation, de faire alliance avec le Rassemblement national. Dirigée d’une main de fer par Marine Le Pen, cette structure provoque de sérieux dégâts collatéraux chez les gaullistes et Reconquête ! Pour sa part, la gauche retombe dans l’escarcelle des Insoumis, cornaqués par un Jean-Luc Mélenchon plus que jamais présent ; Bompard osant à peine respirer sans l’aval de son parrain.

Sur la scène politique, les passions surpassent les convictions. Les positions économiques des Républicains sont largement compatibles avec celles défendues par la majorité présidentielle. Sur l’Ukraine et la crise du Proche-Orient, les socio-démocrates et les macronistes sont alignés. Macronistes, LR et socio-démocrates auraient pu constituer un gouvernement d’union nationale dans un climat national explosif et un environnement géopolitique tendu où la France rassemblée aurait gagné à afficher une disponibilité consensuelle dont elle aurait tiré bénéfice économique et autorité morale et politique. Rien de tout cela ne semble pouvoir advenir.

Le mouvement emmené par Raphaël Glucksmann – qui soit dit en passant avait été traité d’ennemi de classe voire de traître par LFI dont les visions sont aux antipodes des siennes – est de nouveau vassalisé. Les dirigeants s’assoient sur leurs convictions pour sauver leurs sièges. La gauche de gouvernement, qui se disait déterminée à sortir d’une NUPES castratrice, y est retombée dans des conditions qui peuvent la mener aux pires déchirements si ses électeurs lui renvoient au deuxième tour le prix de ses reniements éthiques. Et quand bien même sauverait-elle les meubles, la période post-électorale sera extrêmement difficile à gérer tant les attaques portant sur des sujets aussi sensibles que la laïcité, l’immigration, l’antisémitisme ont marqué les cœurs et les esprits.

Sauf collaboration avec les LR ayant rejeté la décision de Ciotti, la macronie risque le naufrage. Cette déliquescence survient sur fond de tensions sociales qui annoncent ce que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de prémices de la guerre civile.

La clarification voulue par Macron risque de se consumer dans les brasiers des radicalités.

Les manifestations auxquelles appellent les syndicats sont autant d’actions dont il est difficile d’anticiper les évolutions et les conséquences. Il n’est pas sûr que la contestation massive qui avait suivi le passage de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002 ait le même sens et les mêmes portées aujourd’hui. Le RN que la gauche s’évertue encore à diaboliser n’est pas le Front national et le monde actuel, l’Europe en premier, n’a plus rien à voir avec celui de cette époque. En quittant le ministère de l’Intérieur, Gérard Collomb avait prévenu : « aujourd’hui on vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face ».

Emmanuel Macron a joué au poker. Le problème est qu’il a mis la France sur le tapis.

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