La claque – toute relative – prise par le RN, donné comme potentiel vainqueur des législatives, semble occulter une crise inédite de la classe politique française. On a relevé à juste titre l’inattendue remontée du NFP et souligné le sauvetage in extremis de la macronie tout en présentant ces deux groupes comme des blocs stables et homogènes ayant su résister aux épreuves des tornades conjoncturelles. L’analyse macro-politique masque des tensions et des animosités qui traversent toutes les formations et dont on aurait tort de sous-évaluer les contre-coups stratégiques pour les futurs immédiat et lointain sur la scène nationale.
La guerre qui déchire les partis du NFP n’en est qu’à ses débuts et l’effet anesthésiant du barrage anti-FN ne peut longtemps contenir les forces antagoniques dont chacune affûte ses armes… contre ses frères ennemis. Entre un Raphaël Glucksmann ou un Gérôme Guedj et une Mathilde Panot et un Manuel Bompard, tous formellement abrités sous la bannière NFP, il y a plus que de la concurrence. Les braises qui couvaient sous les cendres anti-lepénistes risquent de flamber bien plus tôt que prévu ; même si chacun sait que sa survie dépend de la capacité de tous à rester unis. Unis oui mais l’attelage peut-il être solidaire pour agir efficacement ? Rien n’est moins sûr.
Cette fracture provoque des fissures jusque et y compris dans la maison mélenchoniste où des députés comme Alexis Corbière, Clémentine Autain ou François Ruffin n’hésitent pas à en appeler à la mise à l’écart voire la destitution du parrain qui avait déclaré qu’il était la République.
Dans le PS, les choses ne vont guère mieux. Postulant pour Matignon, Boris Vallaud est aux aguets pour neutraliser le très contesté responsable du parti Olivier Faure, décrit par ses camarades comme l’obligé de la France Insoumise qui lui a réservé une circonscription sans risque.
En dépit d’un ton moins belliqueux, la macronie connaît des soubresauts que beaucoup considèrent être les spasmes d’une inévitable agonie. Le « petit frère » Gabriel Attal affiche une émancipation qui ressemble à un reniement de tutelle et Édouard Philippe n’a pas hésité à désigner Macron comme assassin de la majorité présidentielle.
De son côté, le mort-vivant LR n’en oublie pas de perpétuer ses divisions mitotiques. Sitôt affirmé le refus de « compromission » avec le chef de l’État par un Laurent Wauquiez qui ne désespère pas de figurer dans la présidentielle de 2027, d’autres ténors comme Jean-François Copé ou Xavier Bertrand se déclarent disponibles pour composer avec ce dernier sans pour autant définir ce sur quoi pourrait porter cette éventuelle collaboration. En fait, il s’agit plus de se rappeler au bon souvenir de son voisin de palier que de prendre réellement option pour une construction consensuelle avec d’autres partenaires.
La haine que les uns entretiennent vis-à-vis des autres puise souvent ses origines dans des contrariétés ayant freiné ou bloqué une ambition de carrière mais avec le temps ces dépits se sont structurés en positions de défi et de rejet envers des compagnons de route qui ont mieux réussi. Une énergie négative qui dégrade et pollue des instances politiques qui évoluent depuis plusieurs années sans boussole ni volonté commune. La sève militante ne courant plus dans leurs arborescences, les partis se dessèchent progressivement avant la stérilité définitive. Ces fragilités empêchent toute collaboration crédible et durable, chaque élément redoutant d’être accusé de trahison contre son clan.
Un point commun à tous ces conglomérats : l’absence de projets et d’incarnations crédibles.
Seul le RN – qui a malgré tout gagné 54 sièges de plus et obtenu le plus grand nombre de voix -, que l’establishment se plaît à donner comme le grand perdant de cette compétition, réussit à garder discipline et cohésion même si des voix comme celle de Louis Alliot, maire de Perpignan, s’élèvent pour demander « un examen de conscience » après les erreurs de castings ubuesques concernant certaines candidatures.
Les médias relèvent les adversités qui opposent les trois grands courants qui siègeront dans l’Assemblée nationale mais les inimitiés et les atomisations qu’elles ont provoquées minent la quasi-totalité des formations. Perçus comme des conflits personnels – ce qu’ils étaient au début – ces affrontements représentent probablement le plus grand péril qui menace la classe politique française. La France ne sait plus où elle habite. Pour l’instant, la mobilisation anti-FN voile encore des moisissures qui ont vermoulu structures et étouffé les débats. Jusqu’à quand ?
La cinquième République voulue par de Gaulle est bel et bien entrée dans sa phase crépusculaire. Et c’est dans la violence des intimités partisanes que se manifeste le plus cette fin de cycle.