TOME IV DES MEMOIRES DU Dr SADI LE POUVOIR COMME DEFI : DECOUVERTES PEDAGOGIQUES

TOME IV DES MEMOIRES DU Dr SADI, « LE POUVOIR COMME DEFI » * : DECOUVERTES PEDAGOGIQUES

C’est en 10 chapitres que le Dr SADI traverse la décennie 1997-2007 pour offrir aux lecteurs le très attendu tome 4 de ses mémoires, sous le titre : « le pouvoir comme défi ».

« Une œuvre passionnante » écrit le journaliste et ecrivain Franz Olivier Giesbert**, «  Travail sans équivalent dans l’Algérie d’après -guerre », dira le journaliste Daniel Leconte l’un des plus grands connasseurs de l’Algérie qui l’a vu naitre. Nous avons déjà fait part de ce que disait avec regret feu Tahar Djaout de son « ami Saïd ». « Le RCD a peut être trouvé un bon secrétaire général mais nous avons certainement perdu un grand écrivain », disait l’auteur de « Les vigiles ».

Œuvre inédite

On parcourt ce tome d’un peu plus de 400 pages comme on lit une histoire vécue.

L’intérêt de l’ouvrage, à l’instar des trois précédents, est de nous plonger dans l’histoire générale du pays tout en gardant un caractère de proximité et d’intimité avec les évènements. Une manière d’associer le lecteur au déroulement du récit.

La plume toujours alerte accroche l’attention du début à la fin. Ni censure ni jugement. Les faits, les caractères et les enjeux nationaux ou internationaux sont rapportés avec densité et rigueur qui n’excluent pas la comapssion ou, des fois, la tendresse et l’humour.   L’homme ne s’accorde aucun répit.  Même dans une séquence « creuse », certains diront de recul, de l’histoire politique de la nation, le Dr Sadi trouve la ressource pour inviter à la réflfexion à travers une activité mémorielle constructive. Un devoir de mémoire salutaire à bien des égards dans les tumultes où les reniements et les tentatives de réécriture de l’histoire furent et, hélas, demeurent encore trop souvent la régle.

Ces mémoires sont évidemmetn un acte militant. Ce sont aussi une œuvre de pédagogie avec son discours, sa méthode et son message. Des leçons de courage, de résilience, parfois de dépit, mais jamais de résignation. Même si le responsable politique s’est vu, lui ausssi, conduit à user parfois de la tactique, cela ne se fait pas au détriment des choix stratégiques qu’exigent les enjeux du moment. L’homme a récusé les commodités du populisme auquel beaucoup ont cédé. C’est sans doute cette exigence que certains nomment une « démarche élitiste », une interprétation qu ne manque pas de surprendre quand on découvre dès le tome I les origines d’un auteur qui fut berger aux pieds nus.

Le récit généreux, offre « à celui qui veut comprendre l’Algérie », pour reprendre le propos de l’écrivain Boualem Sansal, l’opportunité d’accumuler des informations dont beaucoup sont inédites. Le titulaire du grand prix du roman de l’Académie française 2015, prolonge son appréciation avec une invitation et recommandation à « lire les mémoires de Saïd Sadi ». Et c’est vrai que ce travail est la seule narration panoramique de l’histoire de l’Algérie d’après guerre qui doit être parachevée par la publication du tome V prévue pour 2025.

Narration personnelle et vécu collectif

Le principal animateur d’avril 80, n’a pas dérogé à sa réputation et à son sens de la formule. La dédicace de ce 4ème tome est réservée à son ami Mohia dit Muhend U Yehya, intellectuel humble et génial  « dont l’œuvre, produite dans une pauvreté dignement assumée, a enrichi nos existences ». Le sens de la formule qui condense les vérités sans les altérer ne se dément pas. La rigeur narrrative n’exclut pas l’émotion de l’admiration reconnaissante. A la fin du chapitre 7, nous retrouvons une plume trempée dans un mélange de chagrin profond et d’un respect douloureux. L’ami vient de disparaitre en ce 7 décembre 2004 à l’âge de 54 ans après « une vie monacale que nul d’entre nous ne put égaler ». Des mots suivis par le rappel d’un immense artiste « dont le verbe avait le don d’être profond et accessible à tous (et) qui fit découvrir la culture universelle à nos grands-mères et introduisait les plus grands auteurs de communautés où ces dernières n’auraient jamais accédé. »

« Il y avait ( chez Mohia ) du Kateb Yacine et du Rimbaud », note l’auteur d’Askuti, qui évoque un « géant dont le nom ne valait que par l’attrait de sa composition et la puissance du souffle intellectuel et philosophique qui s’en échappe. » Le détournement de la dépuille mortelle de Mohia par les officiels est dénoncé pour protéger la  mémoire de celui qui a refusé apparâts et artifices. Cet équilibre qui fait état de la réalité sans sombrer dans le ressentiment haineux constitue sans doute l’une des plus grandes forces de ces récits.

A maintes reprises on découvre des situations politiques, dramatiques ou complexes, à travers les descriptions des profils des acteurs qui ont joué des rôles divers dans la vie nationale. La séduction manoeuvrière de Bouteflika, l’ironie mordante de M’hamed Yazid ou le froid calcul d’un génral Toufik à la parole neutre et illisible sont des moments de grande écriture. La même approche vaut pour les dirigeants étarangers. Trois heures d’échange avec Farouk Kaddoumi, alors numro deux de l’OLP, montrent l’étendue du drame palestinien qui est passé à côté d’une vraie révolution démocratique. L’obervation d’un homme certainement aidé par sa profession de psychiatre aide à bien cerner des personnages français également impliqués dans les relations avec l’Algérie.

« Le pouvoir comme défi » est le couronnement de quatre décennies de combats et de luttes. Celles d’une génération de militants, arrivée à maturité et qui vient « toquer» à la porte du pouvoir et postuler à exercer des responsabilités nationales confisquées par des ainés qui se sont octroyé des titres de propriétés sur la nation.

L’auteur pose la problématique du défi dans son avant-propos en terme on ne peut plus clairs : « extérieure à la classe dirigeante en place depuis 1962, nous estimions pourtant le moment venu de postuler à une représentation sociale et institutionnelle qui poserait sur la scène algérienne une nouvelle vision de la nation » ! Immense challenge.

C’est par des faits précis, des témoignages d’acteurs civils ou militaires que le lecteur est invité à approcher l’histoire politique du pays afin « d’apprécier les choses à leur juste valeur ». Les éléments du contexte sont documentés par de notes de bas de pages qui contribuent à faire de ces mémoires des documents précieux pour celles et ceux qui auront à se pencher sur le parcours de la génération d’après-guerre. Une oeuvre au demeurant que personne n’a contesté. Du moins publiquement.

Le Dr SADI qui parle de « sa vérité » invite les autres acteurs à dire la leur.

Cette disponibilité à croiser le destin d’une nation avec celle de cette nouvelle génération, arrive dans un contexte particulier que l’auteur décrit dans ces mots « C’est dans un pays traumatisé par l’insurrection islamiste, soumis à l’arbitraire militaire et fossilisé dans une histoire de la guerre de Libération frelatée par la censure et la falsification que nous aspirions à une existence politique autonome dans sa conception et singulière dans sa formulation »

Le tome 4 est aussi « le destin d’un homme ». Le Dr Sadi, responsable politique, se sachant « condamné à faire progresser la vie politique du pays tout en veillant à valider des normes et des pratiques vertueuses dans un univers de violences, d’hostilité et de ruses .» Un sacerdoce que  le fondateur du RCD s’attellera à faire partager à ses paris…Avec des résultats d’inégale valeur.  Là encore, les reniements et les trahisons sont rapportées dans leur nudité. Mais, exception dans l’écriture de l’histoire algérienne, les faiblesses signalées au moment où elles surviennent n’occultent pas les actions positives de ceux qui seront ultérieurement gagnés par les tentations douteuses. Vécus comme des échecs d’un combat longtemps donné comme exemplaire, ces traumatismes moraux sont aussi liés à la pratique d’un système qui couvre et encourage les failles du militant au lieu de les sanctionner.

Le parti et la « tentation nobiliaire »

L’ex-président du Rassemblement pour la culture et la démocratie, revient sur une période charnière du parti qu’il a fondé deux décennies plus tôt : la rentrée au gouvernement. Après l’élection de 1999 qui a vu le retour de Bouteflika au affaires, le RCD se trouvait à la croisée des chemins. Le collectif est amené à trancher une question qui implique des positions ni simples ni habituelles ni évidentes. Le confort de l’opposition où il suffisait de faire la comptabilité des erreurs du pouvoir allait être brusquement soumis à évaluation. Le lecteur revit l’intensité des débats qui ont eu lieu à l’intérieur des structures, entre les « purs » et les « pragmatiques ». Les premiers hantés par le risque d’une compromission et les seconds convaincus de la nécessité d’accompagner un rapport de force favorable.

Une narration retraçant des moments de doutes et de tensions dont le lecteur prend connaissance avec force détails quant aux décisons qui ont agité le parti pendant plusieurs mois.

Ce chapitre que l’auteur décrit avec un souci de restitution exacte des évènements constitue une mine d’informations sur un épisode du parcours du parti où ses femmes et ses hommes apparraissent dans leurs doutes et ambitions. Cette période sera évoquée, des années plus tard pour être soumise à des interprétations approximatives et des lectures tendancieuses ou malintentionnées.

Ce chapitre explique aussi en quoi le choix de participation du RCD au gouvernement fut un acte de pédagogie politique par la manière dont il a été discuté et conclu. Un contrat politique public portant sur des dossiers constitutuant l’ossature du programme du RCD  et strictement négocié. Les citoyens ont été témoins de l’accord qui conduit le parti à entrer au gouvernement. Une première dans l’histoire de l’Algérie d’après-guerre qui ne mettra pas à l’abri de critiques d’observateurs qui avaient admit auparavant que d’autres formations siègent dans l’éxécutif sans que l’opinion publique n’aient été associée à ces décisions. «  Nous étions coupables de transparence », relèvera l’auteur. Le paradoxe de ces commentaires est moins soulevé pour faire polémique que pour souligner la soumission générale des médias qui tolèrent des contradictions ou des fautes des anciens tout en déniant à la génération d’après-guerre toute légitimité à exercer le pouvoir.

Deux noms Hamid Lounaouci au département des Transports et Amara Benyounes à celui de la santé viennent concrétiser cet accord pour porter l’espoir de tout un collectif !

 « En principe, nous devrions être à l’abri de mauvaises surprises mais par les temps qui courent et compte tenu de la crise morale qui s’abat sur notre nation, nul ne peut être assuré de la rigueur définitive d’un homme », redoudait le président du RCD. L’appréhension s’avérera justifiée. L’un des deux ministres, Amara benyounès sera immédiatement happé par les manœuvres du système. Un séïsme.  

Le constat signe une terrible désillusion doublé d’un aveu de culpabilité quant à l’icapacité à deviner les faiblesses d’un collaborateur.  « Nous nous protégions des menaces politiques et nous aurions pêché par l’immoralité. Ce n’était pas un échec, mais une électrocution. Une néantisation. » !

Le RCD porté par le militantisme de conviction allait-il, lui aussi, devenir un parti de rentiers ? Le capital éthique et politique d’une génération qui avait affronté tous les périls et résisté à toutes les tentations allait-il s’évanouir ? La découverte de la contamination du RCD est décrite avec une densité littéraire qui font de ces moments de vérité douloureuses, des passages figurant parmi les plus forts de ces mémoires, tant la nature humaine y est appréhendée avec prudence et subtilité.

Relations Alger-Paris

Rarement les relations algéro-françaises auront été exposées avec autant de cohérence.  On découvre une histoire de «  je t’aime moi non plus » où tant de diplomates ont perdu leur latin. La volonté de la droite française qui entend, en vain,  tourner la page de la colonisation se heurte à celle de ce que l’auteur appelle la gauche tiers- mondiste qui chevauche cette période pour culpabiliser ses adversaires. En face, la férocité du FLN à entreternir la rente mémorielle tout en diabolisant la culture française est révélée à travers le rappel de déclarations et des décisons qui illustrent une recherche minutieuse. La guerre est féroce. Des témoignaces truculents expliquent les perturbations d’une coopération sous hypothèque. Principale victime de ces joutes : le développement hamonieux des économies des deux pays et la génération d’après-guerre qui n’a aucun droit à participer à un débat dont elle est exclue par principe.

    Autre registre soigneusement décrit : la compromission des intelectuels de la gauche française avec l’islamisme qui allaient faire de centaines de victimes quelques années plus tard en France. Des passages entiers mériteraient d’être intégrés aujourd’hui dans des émissions où l’on entend si souvent des agitateurs islamo gauchistes crier à l’islamophobie pour caresser un communautarisme décrié par le RCD en son temps.  

Le règne de Bouteflika

La décennie couverte par ce quatrième tome recouvre les sept premières années de la présidence de Bouteflika et deux élections présidentielles (1999 et 2024). L’auteur ayant pris part à la seconde  dévoile comment Bouteflika a pu soumettre l’armée ou plus exactement défaire son état-major en s’assurant du soutien de la police politique qui lui attribue un score brejnévien. Interresante révélation qui met à nu un moment de bascule politique du pays que les analystes ont peu ou mal interprété.

Des rencontres entre les deux hommes donnent à voir un Bouteflika soupçonneux et peu scrupuleux qui, estime le docteur Sadi, est au fond, une personne qui a peu confiance en elle-même.  La ruse est à la fois la base et la seule méthode de l’action politique. L’homme n’est rassuré que lorsqu’il est persuadé d’avoir séduit, c’est-à-dire endormi son vis-à-vis. Un jeu dans lequel l’auteur dit avoir accepté de rentrer pour apprécier le degré de manipulatin que s’autorisait celui qui allait squatter le pouvoir pendant vingt ans. Un échgange illustre les impressions  que fit Bouteflika sur le docteur Sadi avant l’entrée du RCD au gouvernement.

Bouteflika : « Le citoyen, il va là où on l’oriente. Je vais vous dire, le système politique algérien est en fin de vie. Je suis le seul à pouvoir le changer parce que je suis celui qui le connait le mieux ; mais il faut savoir y faire. On ne peut pas et on ne doit pas tout dire, tout annoncer. Vous imaginez la suite des événements si De Gaulle n’avait pas rusé avec son « je vous ai compris », confie le personnage qui se préparait à reconquérir le pouvoir.

Dr Sadi : « C’est une manière de faire. Il y en a d’autres. La dissimulation peut avoir un intérêt tactique. Si elle tient lieu de stratégie, ça ne va pas loin. De Gaulle a rusé une fois mais il avait une vision. » La mise au point n’a pas dissuadé le manipulateur d’exposer ses conceptions lorsqu’il évoqua l’interdiction de la conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri qui fut à l’origine du déclenchement du Printemps berbère.  

 « Moi je n’aurais pas intercepté Mammeri. Je l’aurais invité à un festin chez le wali et je l’aurais fait savoir. Ensuite je l’aurais fait accompagner par des motards jusqu’à l’université. Partout, les étudiants se méfient des intellectuels qui s’affichent avec les autorités. Mammeri aurait été vu comme un allié du pouvoir. Sa conférence serait passée inaperçue et peut être même que les étudiants l’auraient chahuté. Il n’y aurait eu ni Printemps Berbère, ni manifestation, ni revendication identitaire. »

La potion magique était délivrée devant celui qui fut le principal animateur dudit Printemps 

Le printemps noir de Kabylie est également revisité dans ses moindres recoins. Les origines, la gestion et les instrumentatlisations dont cette tragédie fut l’objet sont pour la première fois rapportées et contextualisées à travers des documents irréfutables. Une mine pour les futurs chercheurs.

C’est aussi cela l’intérêt de ces mémoires, à lire, à relire et à faire lire !

K. R.

*Publié en 2024 aux éditions Altava en Franc et Frantz Fanon en Algérie.

**Franz-Olivier Giesbert (FOG »), né le 18 janvier 1949 à Wilmington (Delaware, États-Unis), est un éditorialiste, présentateur de télévision et écrivain franco-américain, exerçant en France. Il fut successivement directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, directeur des rédactions du Figaro, puis directeur du Point, directeur éditorial de La Provence entre 2017 et 2021. En 2024, il est éditorialiste au Point. Et il est surtout connu pour ses articles, positions de soutien et de solidarité aux démocrates démocrates algériens et leurs combats.

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