« Monsieur le Président, Avant de vous répondre, j’aimerais attirer votre attention sur un point concernant la presse. Vous avez remarqué lors de l’ouverture du procès que nous avions empêché un photographe de prendre de nous des clichés pour ne pas servir de proie à la propagande insidieuse du pouvoir. Il n’a pas fallu attendre bien longtemps pour vérifier, encore une fois, les pratiques déloyales de la presse nationale en matière d’information. Ceci est le journal « El-Moudjahid » d’aujourd’hui même. On y trouve un compte rendu anonyme, particulièrement diffamatoire, de la séance d’hier tenue sous votre autorité. Les propos de certains de mes camarades cités nominativement ont été outrageusement déformés. On nous y accuse, de surcroît, de distribution de tracts en date du 16 novembre 1985. Je vous rappellerai que nous sommes en prison, pour certains, depuis juillet 1985 et, pour d’autres, depuis août 1985.Je vous pose la question de savoir si vous êtes décidé en tant que Président de la Cour à faire un démenti contre cet outrage paru dans un journal gouvernemental », avait déclaré Docteur Said SADI devant la Cour de Sûreté de l’État de Médéa*, le 17 décembre 1985.
Ennahar vient de nous prouver que la presse et la justice n’en finissent pas de dégringoler. En s’en prenant impunément à l’honneur de Boualem Sansal qui ne peut ni contredire la calomnie ni la condamner, la chaine Ennahar a atteint les sommets de l’indignité. ( voir vidéo)
La régression nationale ne connait aucune limite. En 1985, lors du procès de ligue des droits de l’homme jugé par la Cour de sureté de l’Etat, le correspondant du journal El Moudjahid et celui de l’AFP, un certain Abed Charef, apprendra-t-on, publièrent des comptes rendus tendancieux de la première séance. Le deuxième jour, Said Sadi, exigea l’expulsion de deux journalistes indélicats. Le premier jour fut marqué par un incident ayant opposé le photographe d’El Moudjahid et les prévenus. Prenant la parole au nom de ses camarades, Said SADI exigea de la Cour qu’elle garantisse la publication d’une mise au point dans les deux organes impliqués puisqu’en tant que personnes privées de liberté, ils étaient sous la protection de la Justice. Auparavant, les accusés avaient menacé de faire une grève de la parole et laisser les magistrats traiter seuls le dossier. La Cour se retira avant de revenir quelques minutes et expulser les deux journalistes indélicats. La justice algérienne n’a jamais été indépendante depuis 1962. Mais, du moins, les magistrats faisaient-ils l’effort de veiller un tant soit peu à la cohérence de leur démarche. Un souci qui ne semble plus habiter les tribunaux d’aujourd’hui.
La vox populi a tranché. Elle a inventé le terme « Zigou » ( les égouts ) pour désigner les chaines de télévision privées qui sévissent en Algérie. Mais la vraie question ne concerne pas une chaine de télévision comme Ennahar qui a choisi l’insulte et le mensonge comme base de sa communication. Trois jours après la commission de ce qui est à la fois une infraction pénale et une faute morale proférées au détriment de Boualem Sansal, la justice algérienne n’a pas réagi pour sanctionner Ennahar et exiger réparation de l’agression dont est victime un citoyen présumé innocent.
Le déchainement qui s’abat sur Sansal rappelle celui qui ciblait les opposants démocrates des années 70 et qui étaient massivement accusés d’être des alliés de l’impérialo-sionisme. Sauf qu’à l’époque, ceux qui rugissaient avec le pouvoir de Boumediène étaient des militants de la gauche orthodoxe qui ne descendaient jamais dans les égouts. Un lieu où pataugent aujourd’hui avec délice les islamistes et ceux qu’ils ont tétanisés par leurs accusations d’appartenance à l’extrême-droite.
* On peut retrouver la déclaration de Docteur Said SADI ainsi que les déclarations des détenus membres de la Ligue des droits de l’homme devant la cour de Sûreté de l’État dans le livre « AU NOM DU PEUPLE Vous êtes accusés d’atteinte à l’autorité de l’État. Qu’avez-vous à dire ? » publié aux Éditions Imedyazen en 1986