Entre déni et oubli : le RCD, la famille qui n’avance plus

Alors que Boualem Sansal, l’un des écrivains les plus éminents de sa génération, croupit dans une prison algérienne, ses opinions polarisent autant qu’elles dérangent. Dans ce contexte, la réaction du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie, le premier parti laïque algérien, se limite à un timide communiqué. Pourtant, ce parti fut autrefois un pilier des luttes pour les libertés, la démocratie, et le lien entre intellectuels et artistes algériens. Une question se pose : qu’est devenu le RCD ?

Le RCD n’est-il plus un parti laïque ?

Officiellement, le RCD reste un parti laïque, du moins selon le discours de son président fraîchement élu, Atmane Mazouz. Cependant, cette affirmation est mise à mal par de troublantes contradictions. Prenons l’exemple de la feuille de route signée entre Mohcine Belabbas, ancien président du RCD, et Mourad Dhina, islamiste notoire, ex-responsable du FIS et fondateur de Rachad. Dhina confirme l’existence d’un document que tout le monde peut consulter sur la toile. Mazouz, lui, la dément catégoriquement lors d’une rencontre faite à Paris ce samedi. Une dénégation qui en surprit plus d’un.

Ce silence et ce flou sont lourds de sens. Atmane Mazouz fait face à une responsabilité historique : soit il se démarque en reconnaissant publiquement cette bifurcation par rapport à la ligne laïque du parti, soit il prend le risque d’endosser malgré lui l’un des plus grands reniements politiques qu’ait connu le pays. Dans un cas comme dans l’autre, il devra choisir entre la transparence et le maintien d’une façade politique trompeuse.

La politique, c’est d’abord un rapport de confiance

Aujourd’hui, c’est moins la réduction des effectifs que le brouillage du message qui inquiète l’opinion. Au-delà des débats sur la laïcité, le problème du RCD est profondément lié à une question de confiance.

Comment faire confiance à un parti qui demande une minute de silence pour les « martyrs de la démocratie », alors qu’il a tourné le dos à ces mêmes martyrs et à tous les militants de la mouvance démocratique depuis 2019 ?

Comment faire confiance à un parti qui prétend dénoncer l’instrumentalisation des médias par le pouvoir, alors qu’il avoue lui-même — lors de son conseil national en septembre 2019 — avoir dépesé un milliard de centimes pour créer ses propres organes de presse (Ameslay, El Qalam, Progress TV)… qui, aujourd’hui, ne fonctionnent même pas ?

Comment faire confiance à un parti qui se revendique laïque, alors que ses dirigeants participent régulièrement à des émissions diffusées sur des chaînes islamistes comme Al Magharibia, qui a d’ailleurs couvert la rencontre de ce samedi

Enfin, comment faire confiance à un parti qui a fait disparaître des archives qui, par-dessus la mémoire du RCD, sont un bien national inestimable ? Belabbas aurait expliqué cette disparition par le fait que quelqu’un « aurait volé » le nom de domaine. Qu’est-ce qui empêche Atmane Mazouz de déposer plainte contre « le voleur » pour récupérer un capital qui appartient à tous les militants qui ont agi dans le RCD ?

Quand le populisme prend la place de la vision

Lors de la rencontre-débat organisée le 21 décembre à Paris, ces questions ont été posées à Atmane Mazouz. Au lieu de répondre avec clarté et de laisser au moins croire que le RCD peut encore renaître de ses cendres pour redevenir un parti qui redonne espoir à ceux qui croient en une Algérie démocratique, il a préféré s’enliser dans un discours populiste marqué par des hésitations et des fuites en avant. Sa gêne a beaucoup gêné. Entre déni et langue de bois, il s’est contenté d’attaquer tout le monde et personne à la fois

En niant l’existence de la fameuse feuille de route connue de tous, il ne fait que renforcer le sentiment de manipulation et, hélas, de soumission que répand la rumeur autour de lui. Ce faisant, il se rend complice de la tentative d’enterrer le dernier rempart contre les islamistes et le régime en Algérie.

Reste un problème : pourquoi Mazouz évite-t-il ou bloque-t-il un débat qui devrait lui permettre de lever les soupçons de complicité qui pèsent sur lui et sur tous ceux qui se sont tus au moment de la forfaiture de Belabbas ? La question est sur toutes les bouches. Mazouz ne peut pas l’éviter plus longtemps.

Un parti en quête d’un second souffle

Le RCD se trouve à un tournant décisif. S’il ne parvient pas à réconcilier ses actes avec ses idéaux, il risque de sombrer définitivement dans l’oubli. La responsabilité de faire disparaître un combat qui a marqué le pays est grande. La question aujourd’hui n’est pas seulement de savoir si le RCD est encore un parti laïque, mais surtout s’il peut encore survivre pour incarner effectivement une alternative crédible dans le paysage politique algérien.

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