Quand, avec mes amis Arnaud Benedetti et Stéphane Rozès, nous avons fondé le Comité de soutien international à Boualem Sansal, nous savions que la première urgence était de rassembler. Nous savions que face à l’arbitraire, face à l’humiliation d’un écrivain libre jeté en prison par un régime hors sol, il fallait une réponse claire, nette, immédiate.
Alors, sans hésiter, j’ai sollicité mes amis, ceux que je croyais liés par la fraternité des mots, par l’amour de la liberté. J’ai tendu la main à ceux qui connaissent l’exil, ceux qui ont pleuré leur pays perdu, ceux qui savent ce qu’écrire veut dire sous la menace.
Je leur ai demandé une chose simple : signer. Témoigner. Se lever.
Et j’ai vu, alors, le pire spectacle.
Quand Boualem Sansal a été arrêté, vous auriez dû parler.
Quand Boualem Sansal a été jeté en prison pour ses mots, vous auriez dû crier.
Quand Boualem Sansal est devenu l’otage d’un régime honteux, vous auriez dû vous lever.
Vous n’avez rien fait.
Vous avez détourné les yeux.
Vous avez balbutié des excuses misérables.
J’ai entendu des phrases que je n’oublierai jamais :
« Boualem dérape. »
« Boualem est trop radical. »
« Boualem a des accointances gênantes. »
« Boualem critique son pays. » ― Oui, vous avez bien lu, Boualem critique son pays, pas le régime mais son pays.
Non, messieurs. Non, mesdames.
Boualem Sansal ne critique pas son pays : il dénonce ses bourreaux.
Boualem Sansal ne dérape pas : il refuse vos compromissions.
Boualem Sansal n’a pas d’accointances : il a le courage d’appeler un tyran un tyran.
Vous, qui revendiquez l’exil comme un titre de gloire, où est votre courage ?
Vous, qui écrivez des pages entières sur la mémoire algérienne, où est votre fidélité ?
Vous, qui paradez dans les salons européens, où est votre honneur ?
J’ai vu poètes, romanciers, essayistes, qui multipliaient autrefois les salamalecs devant Boualem, refuser aujourd’hui un simple geste de solidarité.
J’ai vu des hommes qui n’ont jamais remis les pieds en Algérie, mais qui trouvent encore le moyen de reprocher à Boualem de ne pas chanter les louanges d’un pouvoir abject.
J’ai vu des écrivains, nés à Paris, grands donneurs de leçons, hésiter, fuir, se cacher derrière des formules honteuses.
Et pourtant, il était si simple de dire : Je soutiens Boualem Sansal.
Il était si simple de signer pour un homme emprisonné parce qu’il pense, parce qu’il écrit, parce qu’il parle.
Mais vous avez préféré vous taire.
Vous avez préféré trahir.
Vous avez préféré sauver votre confort, vos amitiés politiques, vos petites notabilités.
Votre silence est une abdication.
Votre silence est une complicité.
Votre silence est une honte.
Car pendant que vous calculez, pendant que vous marchez sur des œufs, pendant que vous tendez l’oreille pour sentir d’où viendra le vent, Boualem Sansal, lui, reste debout.
En prison, mais debout.
Seul, mais libre.
Isolé, mais digne.
Nous, nous ne vous ressemblerons pas.
Nous ne courberons pas la tête.
Nous ne trahirons pas un frère d’armes.
Nous continuerons de porter sa voix, parce que défendre Boualem Sansal, c’est défendre ce qu’il reste d’honneur, de vérité, de liberté.
Et un jour, quand viendra l’heure des comptes, quand les bourreaux tomberont, quand la lumière se fera sur ces années de honte, on se souviendra.
On se souviendra de ceux qui ont parlé.
On se souviendra de ceux qui se sont tus.
C’est aussi simple que cela.
Kamel Bencheikh