La patrie contre la plume

Boualem Sansal. Quatre-vingts ans. Un corps fatigué. Une maladie qui ronge. Et pourtant, c’est la prison qu’on lui inflige. Cinq ans, comme cinq pierres lancées à la figure d’un vieillard debout. Son crime ? Avoir parlé. Avoir écrit. Avoir refusé de baisser les yeux.

Kamel Daoud. Deux mandats d’arrêt internationaux. Deux balles gravées à son nom. Son crime ? Avoir gratté la chair vive de l’Histoire. Avoir retourné la terre pour en sortir les cadavres. Avoir tendu un miroir aux fantômes que l’État veut oublier.

L’Algérie, ma patrie, est devenue une machine à broyer les libres. Ici, on ne débat pas : on écrase. Ici, penser est un délit, dire est une trahison, écrire est une condamnation. Ici, les poètes sont chassés, les romanciers exilés, les journalistes bâillonnés. Ici, la prison est l’université des éveillés. Ici, l’effacement n’est plus une menace, mais un programme.

Ce pays n’est plus une nation, c’est un charnier de promesses éventrées. Un cimetière où l’on enterre les rêves vivants. Un gouffre où les mots tombent, étranglés.

Le dernier livre de Kamel Daoud a osé ouvrir les plaies de la décennie noire. Il a osé dire ce que le pouvoir ordonne de taire. Il a nommé les morts, réveillé les fantômes, secoué la poussière des non-dits. Et pour cela, l’État l’a frappé. Car ici, la mémoire est interdite. La vérité est illégale. Ici, le silence est la loi.

La France a parlé. Oui. Quelques mots. Mais les mots seuls peuvent-ils tenir face à un monstre ? Face à un régime qui fait de la peur son arme, du bâillon sa politique, de la prison son alphabet ?

L’Algérie vit étranglée. Entre la matraque et le bâillon. Entre la botte et le cercueil. Ici, le génie est une insulte, l’intelligence un crime, le courage une condamnation. Ici, la médiocrité règne en reine laide et arrogante, assise sur le trône des lâches.

Ne pas défendre ces écrivains, c’est creuser nos propres tombes. Les laisser bâillonner, c’est allumer le brasier de l’oubli. Ce combat n’est pas celui d’un pays : c’est celui de chaque conscience, chaque cœur vivant, chaque souffle libre.

Car chaque plume brisée est une lumière qu’on éteint. Chaque poète enfermé est une part de l’humanité qu’on égorge. Nous n’avons pas le droit de nous taire. Nous n’avons pas le droit de plier. Nous n’avons pas le droit de laisser la nuit gagner.

Écrire, c’est résister. Lire, c’est se lever. Se taire, c’est mourir.

K. B.

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