Cela fait précisément six mois que Boualem Sansal, écrivain, penseur libre, homme malade, est enfermé dans une geôle algérienne. Six mois que le silence tombe comme une chape sur le nom de celui qui, depuis des décennies, alerte, éclaire, prévient. Son seul crime : avoir persisté à croire que les mots peuvent tenir tête aux murs. Il écrivait encore, malgré le cancer. Il dérangeait encore, malgré l’âge. Alors ils l’ont pris.
Son cadet, Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024 pour Houris, vit à son tour sous le feu des autorités algériennes. Deux mandats d’arrêt internationaux viennent d’être lancés contre lui. Son tort ? N’avoir pas renoncé. Ne pas s’être prosterné. Continuer à nommer l’obscurantisme, à refuser les travestissements de la réconciliation nationale, à défendre la liberté de pensée, jusque dans l’exil.
Désormais, le régime algérien ne se contente plus de surveiller les frontières : il exporte la traque. Il calomnie, il salit, il s’acharne. Il ressuscite les recettes les plus sombres des dictatures du XXe siècle. La méthode est éprouvée : diffamer pour isoler, isoler pour détruire.
Et pendant ce temps, que fait la France ? La France, « patrie des droits de l’homme », semble soudain frappée de paralysie morale. Le 7 mai dernier, à l’Assemblée nationale, des élus insoumis ont voté contre une résolution européenne réclamant la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. Une partie de la gauche a menacé de s’abstenir. Ton jugé inapproprié. Risque d’« escalade symbolique »… On fait mine d’être subtils, quand il faudrait être justes.
Pendant que l’un pourrit en prison, pendant que l’autre est pourchassé comme un malfaiteur, les belles âmes dissertent. On se perd en prudences lexicales, on mégote le soutien, on attend que le vent tourne. Et ce souffle glacé traverse désormais nos sociétés :
« Oui, mais… »
La formule des faibles.
La musique des renoncements.
Ce qu’on tolère en Algérie, on l’accepte bientôt chez soi. Car ailleurs aussi, la nuit avance. En Tunisie, quarante personnes – journalistes, avocats, opposants – ont été condamnées à des peines pouvant aller jusqu’à soixante-six ans de prison dans un procès kafkaïen, pour un prétendu complot contre l’État. Là aussi, penser est devenu un acte d’agression. Là aussi, la justice est dévoyée en arme.
La rive sud de la Méditerranée devient un cimetière de libertés. Les écrivains y sont traqués, les penseurs y sont enfermés, les voix libres y sont ensevelies sous les accusations infamantes.
Et en France, que faisons-nous ?
Nous relativisons.
Nous bavardons.
Nous hésitons.
Albert Camus, si longtemps déchiré entre ses deux rives, nous avait prévenus :
« La liberté est un bagne, aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur la terre. »
Aujourd’hui, ce bagne a des noms : Boualem Sansal. Kamel Daoud. Mohamed Tadjadit. Et tant d’autres.
Si nous n’élevons pas la voix maintenant, c’est notre propre dignité qui sera bientôt sous les verrous.
*Les contributions publiées n’engagent pas nécessairement la rédaction de Tazzuri. Elles relèvent de l’opinion de leurs auteurs.