Il est des livres que l’on referme avec un sentiment de clarté retrouvée. Celui de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, appartient à cette catégorie rare. Dans une époque où la parole diplomatique se dilue trop souvent dans la prudence fade, il ose nommer, décrire, diagnostiquer, proposer. Et cela, avec une élégance de plume qui tranche sur la langue de bois ambiante.
Deux fois en poste à Alger, l’auteur n’écrit pas de loin. Il ne théorise pas dans l’abstrait. Il connaît le terrain, les visages, les silences, les coups bas, les faux-semblants. Ce qu’il raconte, il l’a vécu, analysé, médité. À travers ce nouvel ouvrage, il offre un récit sans détour de la relation franco-algérienne depuis 1962 jusqu’à aujourd’hui. Une relation qu’il qualifie de « toxique » — mot fort, mais précis — tant elle semble enlisée dans les non-dits, les culpabilités instrumentalisées et les revanches symboliques.
Driencourt ne cherche ni à plaire, ni à choquer. Il cherche à comprendre et à faire comprendre. Son style est clair, direct, souvent mordant. Il démonte, pièce après pièce, les illusions d’une bienveillance unilatérale qui pousse la France à accepter, sans réciprocité, toutes les exigences de ses interlocuteurs algériens successifs. Il rappelle, preuves à l’appui, combien l’obsession mémorielle et l’emprise de certains réseaux ont peu à peu façonné une relation biaisée, déséquilibrée, jusqu’à la paralysie.
Mais ce livre va bien au-delà du constat. Il propose. Il appelle à sortir de la dépendance affective, de l’infantilisation mutuelle, et à reconstruire sur des bases claires : souveraineté, fermeté, réciprocité. Ce n’est pas un pamphlet. C’est un traité lucide. Une tentative rigoureuse de redonner sens à une politique étrangère souvent flottante.
Dans une époque marquée par la peur de déplaire, par la soumission aux récits dominants, Driencourt assume une voix rare. Celle d’un diplomate qui n’a pas oublié que représenter la France, ce n’est pas s’excuser d’elle, mais l’incarner, la défendre, la porter, y compris face à ceux qui voudraient la réduire au silence.
Il fallait du courage pour écrire ce livre. Il en faudra autant pour le lire avec honnêteté. Car il remet en question bien des automatismes, bien des réflexes, bien des tabous. Mais c’est à ce prix, et à ce prix seulement, que la vérité peut redevenir une force d’action.
Kamel Bencheikh
*Les contributions publiées n’engagent pas nécessairement la rédaction de Tazzuri. Elles reflètent l’opinion de leurs auteurs.