L’attaque massive lancée par l’Iran contre Israël, dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, marque un tournant. Jamais, depuis la révolution de 1979, la République islamique n’avait frappé directement le territoire israélien. Derrière la riposte israélienne qui a suivi, c’est plus qu’un conflit destiné à tester les capacités balistiques des deux pays qui se joue. C’est un affrontement entre deux nations dont la survie de l’une ne peut s’accommoder de celle de l’autre. Il était écrit que cette tension aux multiples prolongements se déclare. Elle a mis quarante-six ans a-à se produire. Seules les diplomaties de l’hypocrisie ou du déni feignent d’être surprises.
Nous n’assistons pas à une guerre classique. C’est une bataille autour de principes fondamentaux qui se joue : la légitimité de l’usage de la force, le droit international, les frontières entre religion et politique et la place de la liberté dans un ordre mondial de plus en plus fragmenté. Et ces questions dépassent largement les deux pays.
Le droit international, variable de ralliement sans code
Officiellement, l’Iran a répondu à la frappe israélienne contre son consulat à Damas. Mais le recours à une attaque directe et massive sur un État membre de l’ONU, constitue une violation manifeste du droit international. Le même ordre international est régulièrement violé par l’État hébreu sans que l’instance onusienne n’ait pu intervenir.
Dans cette séquence, le Conseil de sécurité, paralysé par le droit de véto, a illustré une fois de plus l’impuissance de l’ordre multilatéral à imposer des règles communes dans la communauté des nations.
Ces applications hésitantes ou ambiguës du droit fragilise la confiance dans les institutions internationales déjà mises à mal par la surpuissance d’un Conseil de sécurité dominé par six nations. Un déséquilibre qui se traduira par des alignements aveugles qui sont plus déterminés par la proximité que les pouvoirs entretiennent avec le contrevenant que l’acte dont celui-ci se sera rendu coupable. Il en est ainsi de l’attaque iranienne qui a été accueillie, dans certains cercles, avec une indulgence troublante. Le silence de nombreux États du Sud et les acrobaties rhétoriques de partis gauchistes européens témoignent d’un glissement inquiétant : le droit n’est plus défendu en soi, mais selon l’identité de celui qui le viole.
Liberté contre théocratie
La mollarchie chiite ne se bat pas pour les Palestiniens. Elle instrumentalise leur cause pour asseoir une influence régionale fondée sur une idéologie théocratique. Le régime de Téhéran, qui exécute des opposants, opprime les femmes et réprime sa jeunesse ne peut se revendiquer d’aucune légitimité morale. Des abus largement occultés par le Sud global et les niches tiers-mondistes de certains pays occidentaux.
À gauche de l’échiquier politique français, Jean-Luc Mélenchon ou Rima Hassan, se refusent à condamner clairement cette agression. Au nom de la Palestine, on en vient à fermer les yeux sur l’islamisme, sur le fanatisme, sur le sort des Kurdes, des athées, des homosexuels et des femmes dans la République islamique.
Parallèlement à cette complicité, on peut citer les frilosités de certains institutions occidentales devant les atrocités commises par Netanyahou à Gaza.
La guerre Iran-Israël met à nue l’obsolescence des institutions difficilement installées après 1945. Le monde est bel et bien en train de basculer dans une autre dimension.
Le traité nucléaire et l’héritage Trump
L’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), signé en 2015, visait à contenir le bellicisme de l’Iran en l’amenant à respecter les normes internationales. En 2018, Donald Trump l’a rompu, croyant pouvoir imposer la « pression maximale ». Le résultat fut inverse à ce qui était attendu : le régime iranien a durci sa ligne, accru ses capacités d’enrichissement d’uranium et renforcé ses réseaux armés dans la région. L’Iran est aujourd’hui plus proche de l’arme nucléaire qu’il ne l’était sous Obama.
Ambiguïtés musulmanes
Face à l’escalade entre l’Iran et Israël, la Turquie, le Pakistan et le Qatar ont adopté des positions tendancieuses, parfois équivoques. Tout en déclarant leur soutien à Téhéran, les trois pays appellent à la désescalade. Mais derrière ces déclarations se dissimulent des équilibres diplomatiques fragiles.
Le Pakistan, soutien traditionnel de la cause palestinienne, s’est abstenu de condamner l’attaque iranienne, tout en prenant soin de ne pas cautionner une guerre ouverte contre Israël : il s’efforce de préserver ses relations avec les monarchies du Golfe, tout en consolidant son partenariat stratégique avec la Chine qui lui dicte sa ligne sur ce dossier.
Le Qatar, hôte historique du Hamas et interlocuteur privilégié des États-Unis, tente de jouer les médiateurs, mais reste solidement arrimé à l’axe islamiste frériste, tant par affinités idéologiques que par calcul diplomatique.
Quant à la Turquie d’Erdogan, elle oscille entre des condamnations virulentes d’Israël et une coopération économique toujours intense, tout en cherchant à renforcer son influence néo-ottomane dans l’espace sunnite.
Ces puissances, souvent présentées comme les voix du monde musulman, se montrent promptes à dénoncer l’occupation israélienne, mais beaucoup plus silencieuses — voire complaisantes — face aux violations du droit international commises par des régimes islamistes. Leur attitude illustre une réalité troublante : l’islamisme géopolitique l’emporte trop souvent sur les principes universels de droit et de liberté. Une ambivalence difficilement tenable sur la durée.
De leur côté l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte ou la Jordanie affichent une indignation de forme contre la dernière offensive israélienne quand elles ne se réfugient pas dans le silence.
La guerre Iran-Israël souligne les fractures d’un monde musulman artificiellement agrégé autour d’une religion devenue objet de convoitise et donc de tensions. Combien de temps va durer le tabou qui interdisait d’assumer officiellement des divergences idéologiques et sociétales « entre pays frères » ?
La France, l’Algérie, la Russie et la Chine : regards croisés
La diplomatie française, prise entre fidélité au droit et calculs électoraux, envoie des signaux contradictoires. Emmanuel Macron rappelle la nécessité de contenir l’Iran et de protéger Israël tout en appelant au dialogue, vieille marotte du Quai d’Orsay qui, elle aussi, s’oxyde devant des évolutions mondiales aussi rapides qu’imprévisibles.
L’Algérie, traditionnellement proche de l’Iran et de la Syrie, s’est, cette fois, gardée de toute surenchère. L’annulation de la visite officielle du président Tebboune à Téhéran, prévue peu après l’attaque iranienne contre Israël, en dit long sur un repositionnement qui tranche avec des déclarations sans nuances quand il faut prendre fait et cause en faveur d’un pays hostile à l’Occident.
Quant à la Russie et à la Chine, elles avancent en silence. Moscou, enlisée en Ukraine, voit dans la guerre Iran-Israël un moyen d’affaiblir l’Occident sans s’impliquer directement et une opportunité pour profiter d’un éventuel renchérissement du prix du baril. Pékin qui achète 80% du pétrole iranien, reste discret mais continue d’approfondir ses relations avec Téhéran, dans le cadre d’une logique anti-occidentale globale.
Au total, les répliques du séisme de la guerre Iran-Israël auront, pour l’instant profité à l’axe Pékin-Moscou qui espère aspirer dans son giron le sud global. Sauf que ce dernier est lui-même fracturé de l’intérieur. Il suffit de noter les oppositions qui déchirent la chine et l’Inde, tous deux membres des BRICS, pour saisir que cet ensemble vaut plus par son rejet de l’ordre mondial issu de Bretton Wood que par des convergences structurantes.
La guerre Iran-Israël est le révélateur d’une fin de cycle historique dont nul ne peut prédire les conséquences. Et aucune initiative ne semble se dessiner pour prendre acte de cette nouvelle donne.