Certains acteurs ont déjà témoigné sur l’épisode connu sous le nom de « la grève du cartable », de 1994 lié au combat pour la langue et l’identité amazighes. Parmi eux figure le Dr SADI qui a réservé un long passage à cette action dans le 3ème tome de ses mémoires. On peut y retrouver un récit précis et détaillé illustré par des témoignages, des dates et des rappels d’articles de presse ayant traité de cet évènement. Une époque qui nous renvoie aussi à un moment de crise à l’intérieur du MCB – coordination nationale et du RCD, le parti auquel était affiliée cette aile du MCB.
Au mois d’aout 1994, M’henni Ferhat, dit à quelques responsables du RCD que le président du parti avait décidé de lancer une grève illimitée et que lui ne faisait que répercuter son instruction. J’étais un peu surpris car en tant qu’enseignant du secondaire et président du conseil communal du RCD d’Azeffoun, je n’avais pas entendu parler de cette affaire dans nos structures. Nous avions quand même exécuté ce que nous pensions être des ordres émanant de notre direction et nous avons pu convaincre les citoyens car le RCD avait à ce moment là une grande influence. Boussad Boudiaf, le président du bureau régional du RCD a publiquement annoncé comment se sont déroulés les faits. Son témoignage dément catégoriquement les versions de Ferhat Mehenni. Après ces révélations, le collectif militant fut surpris et ébranlé d’apprendre que non seulement la direction du parti n’avait rien à voir avec cette décision mais que le président du RCD se trouvait à l’étranger quand Mehenni lui imputa le boycott que nous avions du organiser et assumer en tant que parti.
Après le retour du président au pays, Ferhat Mehenni sera éloigné des centres de décision du MCB et sera marginalisé par les organes du parti qu’il avait volontairement induits en erreur. « Le maquisard de la chanson », comme Kateb Yacine surnomma la génération de chanteurs des années 70, apparaissait alors comme un soldat égaré prêt à se rendre avec arme et bagage au premier passant. Pris en flagrant délit de mensonges, il avait perdu tout crédit. Il tenta alors un ralliement au FFS. C’était à peine croyable pour ceux qui connaissaient l’aversion qu’il vouait à ses « nouveaux amis » et, plus particulièrement, à Ait Ahmed ! Le FFS le montrera comme un trophée dans de rares activités pendant quelques semaines mais refusera cependant de lui place dans ses rangs.
C’est dans ce contexte, que M’henni Ferhat fut invité par le conseil communal du FFS d’Azeffoun pour animer «une conférence» ! C’était en 1995
La rencontre avait un double objectif ! Pour le FFS il s’agissait évidemment d’exhiber devant le public sa proie ! Quant au conférencier, c’était pour lui l’opportunité de tirer à boulets rouges sur ses amis de la veille
Comme pour presque tous les RDV politiques de la commune d’Azeffoun, j’étais présent à la salle des fêtes où se déroulait la réunion.
En tant que président du conseil communal du RCD, j’avoue que j’étais contrarié et peiné de voir mon ancien responsable se donner en spectacle à côté de mes « amis adversaires » du FFS.
J’étais tendu et très attentif à ce qui se passait et me préparais à, éventuellement, porter la contradiction au conférencier du jour en tant que représentant local de mon parti.
Quelle ne fut ma surprise et mon effarement quand j’entendis Ferhat rapporter une soi-disant discussion à laquelle il aurait assisté et qui aurait eu lieu entre le Dr SADI et feu Tahar DJAOUT au siège du RCD sans préciser lequel (communal, régional ou national ) ni nommer un autre militant ou dirigeant du RCD qui aurait été présent à ce prétendu échange. Ferhat aurait, selon ses dires, était témoin, quand le Dr SADI, développa un argumentaire pour « forcer la main » à Djaout afin de l’amener à se positionner contre l’islamisme. Rien que ça ! J’ai déjà écrit quelle était ma relation avec l’auteur des « Vigiles ». Tahar Djaout était mon ainé et le tuteur intellectuel auprès de qui je m’abreuvais à chaque fois qu’il revenait à Azeffoun. Ferhat invoquait Tahar DJAOUT car il savait qu’il était originaire d’Azeffoun. On comprenait qu’il voulait laisser entendre que l’écrivain avait été assassiné à cause des pressions qu’aurait exercées sur lui le Dr SADI.
Comme militant de l’opposition, j’étais préparé à tout ! Mais pas à ça ! Je connaissais et j’avais déjà été témoin de retournements de veste ! En effet, en ces circonstances, les félons font preuve de beaucoup de zèle pour plaire et être admis par leurs nouveaux maitres. Mais ce jour là, l’énormité dépassa tout entendement ! J’étais hors de moi ! Nous étions à quelques encablures d’Oulkhou où se trouve la tombe de Tahar et nous devions supporter une telle profanation !
J’avais pris la parole pour dénoncer les propos qui, pour moi, étaient une insulte à la mémoire de celui qui était l’un des intellectuels les plus engagés contre l’intégrisme. L’auteur de la formule « la famille qui avance et la famille qui recule » venait d’être transformé en potiche ; un homme dont la conviction et l’engagement seraient contraints et forcés. Comment peut-on attribuer une telle faiblesse à une personnalité telle que Tahar Djaout et sur une question comme celle de l’islamisme ? J’avais essayé de rétorquer à mon ancien responsable, que Tahar avait plutôt des leçons à dispenser et de l’intelligence à partager sur cette idéologie et sur bien d’autres choses J’avais dut dire que l’orateur ne pouvait pas ignorer l’amitié, plus que ça, la complicité intellectuelle qui existait entre Tahar DJAOUT et Said SADI ! J’avais aussi rappelé que Tahar DJOUAT était l’un des premiers journalistes à l’avoir interviewé dans Algérie Actualité au temps du parti unique ! Et qu’à ce titre il devrait savoir que Tahar n’était pas une personne à qui on pouvait dicter des positions, des idées, même venant d’un ami proche comme le Dr SADI.
Ma colère et mes arguments n’eurent aucune portée sur Ferhat. Ce jour-là m’avait profondément marqué ! Le respect et la considération que j’avais envers l’homme et le militant, étaient déjà bien ébranlés par les mensonges que nous venions de découvrir sur l’appel au boycott. Je venais de comprendre que quand il avait un objectif, rien ne pouvait arrêter Ferhat et que, par esprit de revanche, il pouvait être capable de tout. Même faire mentir les morts !!
Ce fut pour moi un triste jour ! J’avais connu des tumultes politiques et organiques à l’intérieur du MCB, mais cela ne me suffisit pas à expliquer autant de mensonges et de reniements ! Ce jour-là aussi, ce n’est plus la crédibilité de l’homme politique que prétendait être encore Ferhat qui était pour moi totalement perdue ! C’était la dimension humaine d’un être qui venait de disparaitre à jamais.
Je ne suis donc pas du tout surpris par les pitoyables balivernes qu’il a déversées le 6 octobre devant un groupe de ses proches. J’avais été témoin de la même imposture trente ans auparavant
*Kamel REBAI Ancien enseignant d’histoire-géographie et président du conseil communal du RCD d’Azeffoun