FLN-Hamas : Instrumentaliser l’histoire pour excuser la démission morale et l’irresponsabilité politique

Dans une première version, cette contribution, publiée le 1er novembre 2023, dans les colonnes d’ADN-Med, avait pour titre : « FLN-Hamas : Autopsie d’un parallèle historiquement fallacieux et politiquement dangereux »

Près d’un an après les attaques terroristes du 7 octobre 2023, alors que la guerre entre Israël et le Hamas se poursuit, le conflit israélo-palestinien demeure au coeur de l’actualité internationale, et plus particulièrement en France où le sujet a occupé une bonne partie des débats durant les élections européennes de juin dernier. Cette échéance électorale a donné lieu à de virulents débats jalonnés de polémiques et de déclarations hasardeuses. En effet, de l’euro-députée franco-palestinienne Rima Hassan à la mairie RN de Perpignan ayant, très récemment, organisé une exposition intitulée “60 ans après, l’Histoire se répète. FLN et Hamas : mêmes méthodes, même stratégie”, nombreux ont été les vecteurs médiatico-politiques, en France, de cette réécriture frauduleuse de l’histoire des mouvements de décolonisation en Afrique du Nord, et plus particulièrement, en Algérie. Instillée par les courants décolonialistes proches de la France insoumise (LFI), et reprise par l’extrême-droite, cette version tronquée de l’histoire traçant une continuité entre le combat du FLN moderniste et celui théocratique du Hamas avait déjà, inspiré, l’année dernière, la journaliste du Figaro Eugénie Bastié le titre suivant : « du FLN au Hamas : Quand le décolonialisme justifie le terrorisme ».

Le décor planté, il s’agirait à présent de voir comment un tel parallèle a pu émerger et s’installer dans la vie politique et intellectuelle française sans que personne n’ait jamais questionner sérieusement le bien-fondé de ce rapprochement entre deux évènements qui, nous le verrons, répondent à des problématiques et des objectifs totalement opposés. La pédagogie nous oblige à rappeler, dans un premier temps, les faits qui se sont déroulés le 7 octobre 2023. Ce jour-là, le Hamas, mouvement islamiste palestinien, financé et armé, entre autres, par la République islamique d’Iran, lance l’opération Déluge d’Al-Aqsa. À moto, en voiture ou à pied, des dizaines de commandos terroristes ont visé six bases militaires de Tsahal et sept zones résidentielles civiles dont une ville, cinq kibboutz et le site du festival Supernova. Aux cris d’ « Allah Akbar », les commandos djihadistes se sont attaqués aux civils israéliens résidant dans les localités se trouvant à moins de sept kilomètres de la frontière gazaouie. Bilan : 1400 personnes tuées et plus de 200 otages capturés et exhibés, pour certains, comme « butins de guerre » par les images de propagande du Hamas n’ayant pas hésité à diffuser les images des crimes et de sévices barbares commis par ses commandos.

Ainsi, on a pu voir, dans une des vidéos de propagande devenue depuis virale, le corps d’une jeune femme dénudée, capturée et embarquée à l’arrière d’un pick-up. Un mode opératoire barbare et inhumain correspondant parfaitement aux actes qualifiés de terroristes mais aussi à ceux d’autres organisations se réclamant de la même idéologie du Hamas : le djihadisme islamique. Car, c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un djihad contre « les Juifs ». Du reste, les leaders du mouvement ne s’en cacheront jamais. Leur but est d’abattre « l’Etat d’Israël » et de mener « le djihad ».

Ces faits sont connus de tous. Nous avons maintenant assez de recul et une littérature journalistique assez étayée sur ce qui s’était passé ce 7 octobre 2023 pour pouvoir trancher la question du caractère terroriste de telles attaques si tant est qu’une telle qualification ait pu être problématique à un moment donné. En revanche, la visibilité médiatique n’est pas la même pour les travaux historiques et documentés sur l’autre événement historique que les relais médiatiques du Hamas s’accaparent, non sans édulcorer les vérités historiques ne correspondant pas à la fable islamo-tiers-mondiste sous-tendant leur récit décolonialiste : la guerre d’Algérie. Cette invisiblisation des travaux référencés sur la question a autorisé travestissements et impostures historiques. Là encore, la rigueur intellectuelle et la pédagogie nous imposent un rappel des faits historiques établis.

Le 26 août 1956, à Ifri, dans l’actuelle commune d’Ouzellaguen, en Kabylie, Abane Ramdane, dont certains relais du discours tiers-mondiste se revendiquent faussement (en souillant, par ailleurs, la mémoire d’un homme aux antipodes de la pensée islamo-conservatrice, anti-démocratique et anti-moderne) décide de réunir l’ensemble des forces politiques et militaires travaillant à la ressuscitation du combat indépendantiste algérien pour donner une assise idéologique et organique à « la Révolution algérienne ». C’est ce que l’on appellera plus tard le congrès de la Soummam. Une littérature foisonnante existe sur les tenants et aboutissants de cette réunion que d’aucuns qualifient comme la première réunion clandestine d’envergure sous la colonisation.

Les discussions qui ont eu lieu durant ce congrès ont été fidèlement rapportées par Rachid Adjaoud, dactylographe officiel du Congrès, dans son livre Le dernier témoin (Ed. Casbah, 2012). Le congrès de la Soummam fut l’acte majeur structurant de la révolution algérienne. Il en est sorti de cette réunion un véritable cadre de structuration et d’organisation de la révolution, conférant à l’insurrection armée du 1er novembre 1954, une assise nationale et une visibilité sur le plan international. Par ailleurs, le congrès dota la Révolution d’organes de délibération démocratique : le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) et le Comité de coordination et d’exécution (CCE). En plus de la structuration organique, le congrès du 26 août 1956 a été l’occasion d’une clarification de la doctrine idéologique et des objectifs de la lutte armée déclenchée deux ans plus tôt. La lecture des résolutions du Congrès nous permet de relever, entre autres, les points suivants :

  • La primauté du politique sur le militaire”, ce qui impliquait une reprise en main de l’action politique, donc diplomatique, pour porter la revendication indépendantiste auprès des autorités françaises au moment où le gouvernement Guy Mollet, lui, votait les pouvoirs spéciaux et une militarisation de la gestion des départements algériens.
  • La réaffirmation de l’indépendance de l’action du FLN vis-à-vis du communisme soviétique et du panarabisme nassériste, clairement signfiée par la résolution suivante : “ La Révolution algérienne, malgré les calomnies de la propagande colonialiste, est un combat patriotique, dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social. Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington. Elle s’inscrit dans le cours normal de l’évolution historique de l’humanité, qui n’admet plus l’existence de nations captives”.
  • Un projet de société alternatif au colonialisme fondé sur les valeurs universelles et modernes comme le montre la présente résolution : “ […] C’est enfin la lutte pour la renaissance d’un Etat Algérien sous la forme d’une république démocratique et sociale et non la restauration d’une monarchie ou d’une théocratie révolues”

Loin de la gestion opaque, autoritaire et de la furie terroriste du Hamas, le FLN, et sa branche armée, l’ALN, se fixaient, à termes, l’objectif d’établir un État républicain, démocratique et social. Par ailleurs, le congrès fut l’occasion pour Abane Ramdane, resté prisonnier jusqu’en 1955, et d’autres militants du FLN d’aborder franchement la question des attaques perpétrés, les mois et années précédant ledit congrès, contre les civils. Rachid Adjaoud rapporta l’épisode d’une confrontation virulente entre Abane Ramdane et Zighoud Youcef, chef militaire du Nord-Constantinois. En effet, le premier reprocha au second la stratégie qui avait consisté à s’en prendre aveuglément à des civils dont des femmes et des enfants européens. La même confrontation virulente eut lieu lorsque fut abordée la Nuit rouge de la Soummam (massacres de civils algériens soupçonnés de traîtrise). Ces incidents aboutirent, finalement, à leur condamnation ferme de la part de la direction du FLN et à l’interdiction des expéditions punitives et des égorgements ou encore l’obligation d’instaurer un tribunal avec un avocat pour le prévenu.

Faut-il encore rappeler que dès le 1er novembre 1954, date du déclenchement de l’insurrection armée du FLN, qu’en contrepartie de la reconnaissance de la souveraineté algérienne, les indépendantistes s’engageaient à ce que “les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, s[oient] respectés ainsi que les personnes et les familles” ou encore que “tous les Français désirant rester en Algérie a[ient]t le choix entre leur nationalité et s[oient] de ce fait considérés comme étrangers vis-à-vis des lois en vigueur ou opte[nt] pour la nationalité algérienne et, dans ce cas, s[oient] considérés comme tels en droits et en devoirs” scellant par là une conception universaliste et inclusive de la citoyenneté algérienne. De plus, le FLN, ayant davantage privilégié l’action politique à celle armée, dans le souci de rassurer les franges libérales françaises sensibles à la cause indépendantiste, acta, dans cette déclaration, “que les liens entre la France et l’Algérie seront définis et feront l’objet d’un accord entre les deux puissances sur la base de l’égalité et du respect de chacun”. Ainsi, avant même l’effectivité de l’indépendance, la direction du FLN se projetait dans une solution politique au conflit en envisageant une relation future et apaisée avec l’ex-puissance coloniale.

Enfin, ne cédant ni au ressentiment, ni à la violence coloniale, toute la littérature indépendantiste, notamment la déclaration du 1er novembre 1954 ou encore les résolutions du Congrès de la Soummam (traduites dans plusieurs langues, y compris en hébreu), originalement rédigées en français, a toujours veillé à ne jamais tracer de ligne de continuité entre « le colonialisme », « l’ordre colonial » et « le peuple français ». Il suffirait de relire ces quelques lignes tirées de la plateforme de la Soummam pour le noter : “Il est certain que le FLN attache une certaine importance à l’aide que peut apporter à la juste cause de la Résistance Algérienne la partie éclairée du peuple français, insuffisamment informé des horreurs indicibles perpétrées en son nom” / “Nous apprécions la contribution des représentants du mouvement libéral français tendant à faire triompher la solution politique, pour éviter une effusion de sang inutile / La Fédération FLN en France, dont la direction est aujourd’hui renforcée à Paris, a une tâche politique de premier plan pour annuler l’effet négatif de la pression réactionnaire et colonialiste

Né en réaction à l’inégalité et la violence structurant le système colonial, le projet indépendantiste a toujours veillé à résolument tourner son action subversive sur l’affaiblissement et le renversement d’un ordre politique inégalitaire et non l’élimination d’un peuple ou d’un pays comme le veut, dans d’autres contrées, le Hamas aujourd’hui. Dès lors, le parallèle entre ces deux entités, que tout oppose, est historiquement fallacieux, pour les raisons évoquées ci-dessus.

Il s’avère être aussi politiquement dangereux tant il vise à dédouaner le Hamas de toute responsabilité dans les barbaries commises le 7 octobre et à cacher les motivations totalitaires et théocratiques de ce mouvement et à faire que tout se justifie sous le sceau vertueux du combat « des peuples contre l’oppression coloniale ». “Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde” disait Camus. Or, c’est bien de ce malheur dont sont responsables, aujourd’hui, les relais médiatiques, politiques et intellectuels en propageant un parallèle qui, en plus d’être historiquement fallacieux, vient corrompre les repères et semer la confusion empêchant, une nouvelle fois, un regard lucide et rationnel sur cette question.

Par ailleurs, l’on notera que le recours aux arguments relevant du légitimisme historique ou encore du registre de la déconstruction radicale, comme est-ce cas avec le rejet de la catégorisation terroriste du Hamas parce que émanant, en première instance, des autorités israéliennes – alors même que la qualification peut se justifier rationnellement au vue des actes et des motivations de ce mouvement – pour justifier un positionnement ambivalent, sinon complaisant, à l’égard du Hamas et d’autres entités qui, loin d’être, comme veut le croire la philosophe Judith Butler, des “mouvements progressistes, de gauche” sont résolument anti-démocratiques et anti-universalistes, atteste du cynisme et du nihilisme ayant frappé une partie de l’intelligentsia française, notamment celle issue de la gauche radicale, prête à justifier tous les affres et à renier tous ses idéaux pour flatter les bas instincts des factions plébéiennes de son électorat.

D’ailleurs, ce travestissement des valeurs humanistes et universalistes se voit dans l’argument de “la résistance à l’oppression” brandie par ceux qui veulent voir encore dans une organisation terroriste islamiste un mouvement “progressiste”. Rappelons enfin que la lutte contre l’oppression n’a jamais été un prétexte pour justifier le massacre de civils et la violence révolutionnaire. Le souci des peuples opprimés n’a jamais été un prétexte pour cultiver la violence et le ressentiment. Eut-il été utile de remémorer, à cet effet, les prises de positions courageuses d’intellectuels engagés durant la guerre d’Algérie qui condamnaient autant la violence de l’armée française que les exactions du FLN. Albert Camus, Raymond Aron et plus, singulièrement, Mouloud Mammeri, résolument investi dans le combat pour la Libération nationale, ne furent jamais aveuglés par leur engagement.

Les démissions morales, les dépassements éthiques et les impostures et raccourcis politiques, nombreux dans le débat public, privent la France, et plus largement l’Europe, encore une fois, de la lucidité sur ces problématiques. Ce qui empêche de prendre compte de la différence qu’il peut y avoir entre des acteurs et mouvements franchement convaincus de la nécessité d’entrer dans la modernité, comme ce fut le cas de la frange du FLN libérateur ou encore de l’OLP, s’agissant du cas palestinien et d’autres cultivant haine, ressentiment et repli sur soi. A défaut, l’on est tombé dans une essentialisation du “Sud global” cultivant les enfermements identitaires et les malentendus. Là où devait prévaloir le langage unitaire de la commune rationalité et de l’universalisme qui, s’il est bien compris, n’est jamais un prétexte de domination coloniale ou le simple éloge d’ensembles culturels monolithiques, mais autant d’autres manières d’exprimer l’appartenance à une même communauté de destin. La condamnation du “deux poids, deux mesures”, venant des pays du Sud, doit passer, s’il veut être crédible politiquement et valable éthiquement, d’abord par la condamnation ferme de toute attaque perpétrée contre des civils. Surtout lorsque ces attaques sont motivées par autant d’idéologies fanatiques comme peuvent l’être l’antisémitisme ou encore l’islamisme.

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