Said SADI illumine le débat intellectuel à Montréal

Le « printemps berbère d’avril 80 : un message de fidélité et d’anticipation nord-africaine », était l’intitulé de la conférence animée par Said SADI ce samedi 13 mai à Montréal dans le cadre des activités du Festival Amazigh organisé par la FAAN (Fédération Amazighe de l’Amérique du Nord).

Malgré la belle journée printanière qui pouvait susciter des envies de farniente, une impressionnante mobilisation de la diaspora où la présence féminine était remarquable s’était tenue au Collège de Rosemont pour écouter le docteur Saïd SADI. Les applaudissements nourris qui lui furent réservés au moment où il rentrait dans l’amphithéâtre auguraient d’une rencontre attendue par le public. L’attention et la qualité des débats viendront confirmer ces premières impressions.

Après que l’un des animateurs de la FAAN en l’occurrence Belkacem Sidhoum eut souhaité la bienvenue à l’assistance, un hommage a été rendu à l’invité impliqué dans le combat politique depuis son jeune âge et son apport en tant qu’écrivain dont de nombreux titres furent énumérés.

Avant d’entamer la conférence, le fondateur du RCD a tenu à saluer le dévouement de la FAAN, « dont les membres issus de différentes sensibilités parviennent à s’entendre pour organiser de tels évènements dans une conjoncture cruciale pour leur pays d’origine. » Il a ensuite saisi l’opportunité du rendez-vous pour remercier les personnes de la communauté installée en Amérique du Nord qui a apporté son soutien dans les procès qu’il intente contre « des délinquants politiques » chargés de souiller le débat public, indiquant que si modeste que soit un geste ou un propos, il témoigne d’un acte de solidarité qu’il faut savoir apprécier, cultiver et transmettre.

Égal à lui-même concernant la réflexion sur des sujets qui agitent la société, cette fois-ci l’orateur dira d’entrée qu’aujourd’hui, la dimension amazighe n’est plus la question d’une région particulière mais le chantier de toute l’Afrique du Nord.

Histoire d’une lutte

En faisant un rappel sur l’émergence d’avril 80, l’animateur rappellera que sa génération, appartenant à l’après-guerre, fut désillusionnée les affrontements qui ensanglantèrent la jeune et nouvelle nation dès les premiers jours de l’indépendance. Une génération qui n’a pas été prise en charge pour assurer le combat qu’appelait les profonds changements nécessaires à l’édification d’un État qui soit différent de celui hérité de la colonisation et qui impliquait la réhabilitation d’une identité nationale niée par un Boumediene et un FLN qui ont empêché toute forme d’émancipation.

Adoptant une approche pédagogique, il mentionna le chemin atypique entrepris dès l’indépendance par ses camarades. En quête de sources d’informations, ces jeunes s’inspirèrent non pas d’un champ politique de toute façon sous contrôle mais auprès des hommes et des femmes de culture comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Jean et Taous Amrouche, Issiakhem, Cherif Kheddam et d’autres, qui n’étaient pas de militants partisans mais des acteurs ayant contribué grandement à l’éveil citoyen par l’art et la culture. « Nous n’avions ni parti politique, ni contrainte de programme, ni échéancier pour contraindre notre liberté de penser et d’agir ». Le cercle de culture berbère de Ben Aknoun avec sa troupe de théâtre, le cours de berbère animé par Mouloud Mammeri, la radio kabyle où les gradins de la JSK étaient des espaces où toute une génération a pu évoluer dans une autonomie intellectuelle qui ne fixait aucune limite en termes d’exploration d’idée ou de méthodologie. Une audace « qui nous a permis de nous affranchir des cadres façonnés par le mouvement national pour envisager des pistes inédites permettant de révéler les ressources historiques niées ou déformées, les potentialités culturelles marginalisées et même diabolisées et des conceptions   institutionnelles originales qui pouvaient garantir une émancipation nationale où chacun pouvait trouver sa place et ses droits », avait développé l’orateur devant une assistance assidue, ajoutant en précisant : « c’est en ce sens que revisiter le printemps amazigh d’avril 80 n’est pas une question de nostalgie mais  de relance de la dynamique de débat libérateur. »   

Revenant plus précisément sur les éléments qui ont concrètement inspiré l’engagement d’une génération sevrée de repères et de vérités historiques, le conférencier dira que deux éléments fondateurs avaient nourri les débats qui avaient amorcé la lutte.

Un groupe de militants du lycée de Ben Aknoun avait soulevé « une question capitale et qui reste à ce jour mal étudiée et toujours soumise à la pression politique, idéologique et même académique de la gauche arabe qui s’emploie méthodiquement à la dénaturer en travaillant à en occulter la substance qui en était l’essence même : la réhabilitation d’une identité culturelle et même culturelle de la future nation algérienne. » relèvera la conférencier qui insiste sur cette opération de dévoiement de la mémoire en rappelant les propos des acteurs de la crise dont il avait fréquenté un certain nombre et qui démentent tous les termes de cette campagne de désinformation. « J’ai invité en 1981 maître Mabrouk Belhocine à animer une conférence au campus d’Oued Aissi. Il était le lien entre le groupe de Ben Aknoun et des membres du comité central comme Amar Ould Hamouda qui devaient porter cette problématique devant les instances du PPA/MTLD. Son témoignage quant à la motivation et aux objectifs de ces jeunes étudiants ne faisait aucun doute : la dimension identitaire avec ses implications historiques, culturelles, linguistiques et même sociétales était clairement assumée. » signalera le docteur Sadi qui ajoute que Mohand ou Yidir Aït Amrane qu’il avait « interviewé pour la revue Tafsut affirmait la même chose. » avant de conclure que l’étude saine et crédible de la crise de 1949 reste à faire et c’est là, conclura-t-il, un dossier important sous un tonnerre d’applaudissements.        

Le deuxième élément qui aida à prendre conscience que le parti-Etat avec sa pensée unique « n’était pas une projection conforme au combat libérateur fut le congrès de la Soummam » déclarera celui que l’on désigne comme l’acteur qui aura le plus contribué à remettre dans le débat public un congrès que le pouvoir d’après-guerre avait tenu à étouffer et même disqualifier. Plus nous avancions dans nos investigations expliquera le fondateur du RCD, plus nous constations que la conduite de la guerre de libération fut le produit d’un consensus autour d’un objectif : l’indépendance et d’une matrice démocratique où le pouvoir ne serait ni militaire ni théocratique. « Par ailleurs, nous avions noté que le découpage politico-militaire du pays effectué à la Soummam recouvrait, pour l’essentiel, les régions naturelles du pays » soulignera-t-il.

Mais le complexe du colonisé des dirigeants de l’époque aura faussé le départ de la naissance algérienne, « Le mimétisme a fait qu’ils ont repris tout simplement le schéma institutionnel de la France ». Un mimétisme qui n’arrêtera pas de se développer puisqu’au jacobinisme s’ajouta le léninisme puis l’islamisme qui ont accouché d’un pouvoir et d’une société de violence, déplorera Saïd Sadi.

Comment extirper de la violence le combat amazigh et les luttes démocratiques ?

Pour Saïd Sadi, toutes les actions prises pendant les événements d’avril 80 ont été réfléchies et encadrées pour éviter le recours à la violence.  

« Le débat fut la seule arme efficace contre l’arbitraire en 1980 Nous nous sommes absolument interdits de répondre par la violence et ça a payé… puisqu’il n’y pas eu un seul mort »,

fera-t-il observer.

En faisant référence à la violence du mouvement national et celle de l’ordre colonial qui ont engendré une culture politique d’intolérance et d’affrontement à l’indépendance, il avertira que ces reflexes sont de retour et que même en Kabylie les risques de dérapages sont réels, ce qui rend encore plus impérieux la relance du débat argumenté pour traiter les problèmes du pays. Revenant sur cette périlleuse régression, Said Sadi rappellera que la tolérance, l’échange apaisé, l’écoute et l’argumentation sont les meilleures armes contre le populisme. Ce qui l’amène à citer le titre du tome 3 de ses mémoires : « La haine comme rivale » pour dire que malgré les attaques souvent injustes et indignes sa génération a privilégié la patience et la raison.

Ce qui guette aujourd’hui le combat amazigh ainsi que les luttes démocratiques c’est la violence du pouvoir qui cible Kabylie et l’émigration mais aussi la violence endogène qui n’est pas moins problématique. Celle-ci empêche de sensibiliser, donc d’élever la conscience du citoyen pour voir quelles sont les solutions possibles et souhaitables. De plus, cette violence endogène sera inévitablement exploitée et manipulée par le régime. D’où, insistera le conférencier la nécessité d’asseoir l’exercice des débats comme le fait en ce moment le FAAN.

Le printemps berbère s’inscrit dans une dimension nord-africaine

Saïd Sadi avoue qu’au moment où la lutte a été amorcée pour l’identité berbère, personne ne s’imaginait qu’elle aurait été aussi rapidement entendue par la majorité des pays de l’Afrique du Nord. Aujourd’hui la perspective de ce sous-continent construite sur le socle amazigh a atteint un point de non-retour. Donnant l’exemple des avancées enregistrées au Maroc ou les acquis politiques dont jouissent des populations amazighophones en Libye, il signale qu’en Tunisie aussi la jeunesse se réapproprie l’identité amazighe.

En revanche, cette question essuie de sérieux revers en Algérie et de rappeler que le dernier 20 avril n’as pas été célébré même à Tizi-Ouzou, que les cafés littéraires sont interdits et que la JSK est l’objet d’un déstructuration méthodiques et résolue.

Le fondateur du RCD ne cache pas ses inquiétudes concernant la Kabylie. Il croit fermement qu’il y a une stratégie la visant spécifiquement. La neutralisation de la Kabylie est la garantie de l’arrêt de la contestation dans tout le pays. L’équipe actuelle, nostalgique de Boumediene, veut revenir aux années 70 ; elle rêve de revenir à l’époque où le pays était dirigé par une main de fer avec l’exaltation d’un panarabisme négateur de toute différence. Said Sadi caractérise cette tentation par des paramètres invariables « A chaque fois que la question amazighe évolue positivement, vous avez les libertés démocratiques qui sont parallèlement promues. Inversement, quand il y a une fermeture sur la question amazighe, nous constations une régression sur la scène politique en termes de libertés. »

C’est pour cela qu’avec la condition féminine, la question amazighe constitue le témoin qui permet d’apprécier l’évolution du pays mais aussi l’avancée de la question de Tamazgha qui détermine la stabilité et le développement de la région.

Le débat

Les questions des intervenants ont principalement porté sur les conséquences de la régression politique, les détenus, l’absence de perspective émanant de la part de l’opposition politique, l’islamisme, l’avenir du dossier identitaire dans une conjoncture de fermeture générale, l’attitude du pouvoir, etc.

Prenant le temps de répondre à des questions quelques redondantes, Said Sadi, répéta à plusieurs reprises que l’heure est à une démarche citoyenne organisée. Une entreprise qui se prépare par le débat pour éviter les précipitations et les désillusions. Les règles sur lesquelles doivent se construire l’espace citoyen qui permettra après toutes les compétitions politiques doivent être clairement discutées énoncées et adoptées. Et cette initiative ne peut se dérouler que dans la diaspora.

A entendre les commentaires des citoyens restés attentifs pendant plus de trois heures on saisit que la FAAN a réussi son challenge.

La conférence s’est terminée par une séance dédicace au cours de laquelle des dizaines de lecteurs ne purent se procurer le tome 3 des mémoires de l’invité qui porte sur la décennie 1987-1997.    

Mahfoudh Messaoudene

Québec

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