Yasmina Khadra vient d’être reçu avec force publicité par le chef de l’État algérien Abdelmadjid Tebboune. Le moment est plutôt mal choisi. Resté muet après l’arrestation de Boualem Sansal, qui a souvent salué son succès populaire, l’écrivain est également demeuré silencieux après la sortie de route du charlatan Balghit, aujourd’hui emprisonné, et qui a déclaré sur une chaine Émiratie que l’amazighité était « une création franco-sioniste ».
On se souvient aussi de son dérapage quand il avait proclamé qu’il n’avait pas dédicacé un de ses livres à une lectrice qui s’était présentée à lui comme Kabyle, provoquant une indignation générale en Kabylie où il comptait l’essentiel de son lectorat et où il n’est plus jamais représenté. Pour faire bonne mesure, Yasmina Khadra s’affiche avec le pouvoir algérien au moment où ce dernier cherche à faire taire Kamal Daoud et, plus grave, s’apprête à faire voter par la chambre haute du parlement* le code pénal le plus archaïque et le plus répressif qu’ait connu le pays, soulevant déjà une réprobation de l’ordre des avocats, des défenseurs des droits humains et, même, du porte-parole du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
Tous les régimes autocratiques cherchent à satelliser des artistes intéressés ou fragiles ou, plus généralement, des personnages sensibles aux ors des palais qui évoluent dans le monde culturel. Il s’agit, pour eux, de disposer de courtisans permettant d’atténuer leur impopularité sur la scène internationale. Surtout quand ils sont isolés, ce qui est le cas d’Alger depuis quelques années. L’arrivée de Khadra à Alger aujourd’hui n’a donc rien d’anecdotique.
Pourquoi l’homme qui parle de lui à la troisième personne s’est-il rendu disponible pour une opération qui ne fera que confirmer l’image d’une personne alignée sur les puissants ?
Khadra qui fut un officier de l’armée n’a jamais pu s’affranchir des adhérences qui le connectent au système politique en place en Algérie. Il fut nommé président du centre culturel algérien de Paris avec rang d’ambassadeur sous Bouteflika. L’institution ne connut ni rayonnement particulier ni débat fécond sous son règne. Aujourd’hui il gravite autour de la mosquée de Paris devenue, de fait, l’ambassade d’Algérie en France, un statut qui confirme l’islamisation institutionnelle du pays. La proximité de Khadra avec des autorités qui ne cachent pas leur aversion pour la liberté d’expression péjore lourdement sa crédibilité. Il vient enfin de recevoir deux récompenses, il est vrai de second degré, en Espagne. Les mauvaises langues n’ont pas manqué de faire le lien entre ces distinctions et le récent réchauffement politique ayant mis un terme à une grave crise qui a sérieusement ébranlé les relations entre Alger et Madrid.
Le romancier qui rencontre des succès d’estime peine à trouver la reconnaissance de la critique. Lui, attribue implicitement le plafond de verre qui interdit à sa production de figurer parmi les œuvres qui marquent un public averti au sectarisme des instances littéraires occidentales dont il serait victime. En fait, et au-delà d’un style où la plume ne parvient pas à explorer des histoires dépassant l’intrigue, Khadra n’arrive toujours pas à convaincre en tant qu’intellectuel. Et ce ne sont pas ses mutismes sur les abus dont sont victimes ses pairs ni sa dernière offre de service qui aidera à le faire placer au niveau des grands écrivains de notre temps.
*Au moment où sont écrites ces lignes, le projet de loi, qui a été voté à une large majorité par l’Assemblée nationale, attend d’être confirmé par le Sénat.